Prologue
Hiver 2016 – février
Je regarde par la fenêtre ouverte, appuyée sur la balustrade en fer forgé. Les rumeurs du salon me parviennent par bribes étouffées, j’essaie de saisir quelques mots, en vain. Mon esprit est déjà ailleurs.


Je ne veux pas de votre vision du féminisme.
Je ne veux pas de votre avis sur ce que doit ressentir une femme. Je ne veux pas que vous me disiez que je peux répondre la tête haute à un homme qui m’insulte dans le métro. Que je peux jouir lors d’un viol. Que je peux compatir suffisamment de la misère sexuelle d’un homme pour ne pas trouver grave qu’il frotte son sexe contre moi sans mon autorisation.
Elle a tiré sur son pull en tentant de rentrer le ventre. Elle a les mains moites. Elle sait qu’en face d’elle ils ont tous remarqué. A quel point elle est boudinée dans ses vêtements. Elle l’avait bossé pourtant son sujet. Mais elle en oublie ce qu’elle doit dire, bafouille, perd le fil et rougit.
« Solo dans ma peau, sur la plage. Je me la joue mélo. (…) Seule dans ma tête, c’est dommage. A deux c’est tellement chouette. De fumer des cigarettes sur la plage. »*
J’ai regardé la fumée sortir de sa bouche, délicate. J’aurais pu m’y perdre un instant. J’ai une passion pour les gens beaux qui fument, j’ai toujours trouvé ça élégant. Il y a une forme de désinvolture face à cette vie, attirante. Un peu comme ces filles qui laissent un ourlet rouge profond sur chacun de leurs verres. J’ai 30 ans. Il y a des sensations que j’ai depuis longtemps oubliées, comme celle du premier baiser. Il y a des sensations que j’ai peur de ne jamais connaître, comme celle d’embrasser une jolie bouche rouge.
Patience. On me prête souvent ce trait de caractère dont je manque pourtant. Je ne saurais dire pourquoi, sans doute le ton de ma voix que je force quand je ne maîtrise plus la situation. Une façon de prétendre que tout va aller tout doucement, alors qu’à l’intérieur c’est le tourbillon.
Il y a eu le début des vacances et tout à coup le vide.
Je l’avais attendu ce vide, entre l’effervescence de ma classe et celle des oraux à la fac. Je rêvais du premier réveil sans réveil. Et je n’ai pas pu poser un pied hors du lit. Trop froid. Pas d’obligation. J’ai mesuré à quel point il m’avait fallu du courage durant mon année de révisions seule pour sortir du lit sans y être obligée.
Do you want to go to the seaside? I’m not trying to say that everybody wants to go. I fell in love at the seaside…
J’ai eu cette chanson dans la tête durant tout notre séjour à Lisbonne. Elle n’a clairement rien à voir avec le Portugal. Elle m’est simplement venue lorsque nous étions en face de la mer. Qui est ici en réalité le Taje et puis plus loin l’océan.