Café coquelicot – épisode 7 – chapitres 30 à 38

Par mardi, mars 19, 2019 0 No tags Permalink 0

Chapitre 30

Mes grands-parents ont longtemps vécu dans cette maison. Puis, l’âge avançant ils ont dû la quitter à regret. Loin de tout, ce bout du monde n’est pas tendre avec les personnes âgées. Ils se sont rapatriés dans un appartement sans escalier du 8ème arrondissement et ne revenaient aux Goudes que le week-end. Pour finalement cesser totalement d’y aller. Quelques années après ils ont intégré la maison de retraite de l’avenue du Prado, leurs économies leur permettant d’y séjourner sans vendre la maison. Je ne les avais pas pensé si riches, mais ils avaient épargné sous après sous, sans jamais dépenser. Ils avaient cédé la maison à ma mère de leur vivant, volontairement. C’était à une époque où ma mère commençait à se lasser de Paris, ils avaient espéré ainsi qu’elle reviendrait vivre aux Goudes, qu’elle maintiendrait intact le lien avec Marseille.

Mais il n’en fut jamais question, sa vie n’était plus ici depuis bien longtemps. Elle se mit pourtant à y revenir pour les vacances, comme si, sans mes grands-parents, elle s’autorisait à nouveau à vivre dans cette maison.

Ma mère avait choisi d’habiter Paris avant ma naissance.  L’attrait de la capitale, du monde, du bruit, de l’ambiance inexplicable et des monuments parisiens à couper le souffle avaient été plus forts que le désert paisible du Sud.

Ma grand-mère est décédée quelques mois avant ma mère, de vieillesse et d’une mort douce, de celles qui ne révoltent pas et offrent des obsèques sans sanglot, tout au plus quelques larmes nostalgiques de souvenirs d’enfants. Mon grand-père est toujours en vie et en bonne forme physique pour ses 90 ans. Je vis cela comme une injustice profonde. Je ne souhaite pas sa mort, ni aucune souffrance, mais comment comprendre le sens de la vie, quand je le vois demander à dieu de le rappeler à lui quotidiennement alors que ma mère s’est battue jusqu’à son dernier souffle ?

Mes grands-parents étaient très croyants et cela leur permettait une certaine tranquillité sur l’idée de la mort. Parfois j’en veux presque à ma mère d’avoir fait barrage entre dieu et moi. Qu’il aurait été doux de croire en un au-delà, en une réincarnation. En quelque chose qui me permette de tenir, de me dire que tout cela a un sens. Mais non. Les angoisses pour moi et dieu pour les autres.  Qu’ils m’agacent ceux qui ont trouvé la foi, intense ou paisible, tandis qu’elle manque si fort à mon coeur. Au plus fort de ma peur, de ma tristesse, j’aurais aimé me laisser convaincre, les croire et les rejoindre.  Mais c’est comme faire croire à un enfant qui vous a vu déposer les cadeaux au pied du sapin que le père Noël existe. Quand on ne nous a pas élevé dans une croyance, le lien est brisé, il y a quelque chose d’impossible à renouer. Dieu ne me soulage pas. Il a été sourd à toutes mes prières. A toutes celles que je ne lui adresserai jamais.

Quand ma mère est entrée dans ses derniers mois de vie, alors que je ne le savais pas encore, que j’espérais toujours, j’étais allée au Sacré Coeur et j’avais déposé un cierge près des autres, j’avais pris un peu de la flamme de l’un, un peu de la peine d’une autre famille et je l’avais allumé. Cette symbolique, au sommet de Paris, sur le toit de la ville lui aurait fait plaisir. Elle avait tellement aimé cette ville. Au point de se brouiller avec ses parents, au point de m’y élever, seule. En faisant ce simple geste, moi athée, tentant maladroitement de me raccrocher au spirituel, saisissant l’espoir là où il n’y en avait plus, j’avais compris que c’était la fin et que mon inconscient me le disait à sa façon. Je pense toujours avec une affection emplie de pitié à celle que j’étais alors à ce moment-là, désespérée au point de tenter de nouer un lien avec ce en quoi je n’avais jamais cru. Avec l’inapprochable.

Mes grands-parents étaient des gens austères, pour un peu on aurait pu croire qu’ils n’étaient pas marseillais. Mais ils savaient brouiller les pistes et offrir aux voisins une mine affable et une poignée de main forte et chaleureuse. A l’intérieur de la dernière maison de la rue Pébron, il n’en était rien. Pas de maltraitance à proprement parler, mais pas d’affection. N’était-ce pas là d’ailleurs, la pire chose que l’on puisse faire à un enfant ? Lui refuser des câlins, des moments de douceurs, des bras réconfortants et des paroles murmurées à l’oreille, pour simplement apaiser une peine anodine, un coeur gros au retour de l’école. Ma mère s’était construite en opposition sans doute, car j’ai reçu tellement d’amour que je n’ai jamais ressenti le manque d’un autre parent. De mon côté, même si je ne réussis pas sur tous les plans, je n’ai jamais été avare de tendresse avec Lucas. Ce n’est d’ailleurs pas un effort pour moi, et je pense que cela ne l’a pas été non plus pour ma mère. Sans doute se rattrapait-elle avec moi de tous les câlins qu’elle n’avait pas eus.

Mes grands-parents allaient à la paroisse de Montredon tous les dimanches et à leur retraite, quasi quotidiennement. Ils s’investissaient énormément dans la vie de l’Eglise, dans la vie de quartier et auprès de tous ceux qui en éprouvaient le besoin. Mon grand-père partageait sa vie entre des métiers différents, jonglant avec les besoins de l’époque, tantôt ouvrier dans l’usine de soude de Samena, à la Verrerie de Montredon ou pêcheur, comme la plupart des hommes de l’époque qui vivaient aux Goudes. Ma grand-mère se distinguait de son mari qui utilisait la force de ses mains, elle, c’était une intellectuelle, écrivait pour un journal local marseillais, ce qui lui valait de nombreux déplacements. Ils vivaient bien et auraient pu élever sans problèmes de nombreux enfants. Mais un an après la naissance de ma mère, un enfant mort-né fut mis au monde. Ma grand-mère accoucha trop tôt, trop vite et seule lors d’une promenade dans les Calanques. Elle en ressortit à jamais transformée, mais cette histoire passa à peine les murs de la maison, tant mes grands-parents en parlèrent peu. Est-ce pour cela qu’elle ne put jamais tenir sa petite Agathe dans ses bras ? Que peut faire un enfant d’un an, à part pleurer de douleur devant sa mère et son père malheureux ? Sans doute avaient-ils vécus à cette époque des moments terribles. Mais jamais ma grand-mère, qui pourtant écrivait énormément, ne mentionna une seule ligne à ce sujet dans ses nombreux écrits et journaux personnels. A la fin de sa vie, alors même qu’elle ne répétait plus que des Marie pleine de grâce à longueur de journée, j’avais été tentée de la voir pour lui soutirer des informations, en savoir plus sur l’enfance de ma mère.  J’avais fini par abandonner l’idée, en comprenant qu’elle ne me reconnaitrait pas. Ma mère à l’époque était malade et je n’avais pas fait le trajet jusqu’à Marseille pour voir ma grand-mère en maison de retraite.

Je les avais pourtant aimés. J’avais des souvenirs de vacances aux Goudes, toute petite. De ces souvenirs trompeurs de l’enfance, dont on n’entrevoit la réalité que plus tard, à l’âge adulte. Mon grand-père sifflait tout le temps, ma grand-mère me cuisinait sans cesse de gâteaux. Ils avaient dû se rattraper avec moi, car je me souviens d’une anecdote qui m’avait marquée. Petite fille, j’avais demandé à ma mère qui revenait me chercher après le traditionnel mois de juillet passé aux Goudes, si elle aussi trouvait que les chaussons aux pommes de ma grand-mère étaient la meilleure chose au monde. Elle m’avait simplement répondu, comme sans comprendre ma question : « je ne sais pas, je n’en ai jamais goûté ».  Le fossé entre ma mère et ses parents était invisible pour l’enfant que j’étais.

Alors pourquoi ma mère qui ne s’entendait pas avec ses parents m’envoyaient chez eux un mois tous les étés ? Je me suis souvent posée cette question à l’âge adulte.  Sans doute pensait-elle leur être un peu redevable et j’étais quelque part une forme de dû pour ce couple âgé sans autres petits-enfants. Je pense aussi que ma mère avait sans doute, une fois de plus, pensé à sa fille avant elle. Et un mois au bord de la mer, loin de Paris c’est un luxe que nous ne pouvions nous offrir. Cela valait bien quelques contacts avec ses parents. Elle continuait à travailler l’été et moi j’arpentais les calanques, plongeais dans l’eau bleue, goutait le soleil sur ma peau. Je n’ai jamais réellement perçu à cet âge-là la froideur et la rancoeur qui régnait entre eux.

Chapitre 31

Vérité.

On ne se l’est pas dit comme ça, mais le contexte s’y prête. Les calanques sauvages, seuls sur les rochers enroulés dans une grosse couverture en laine tricotée par ma grand-mère. On a pris une bouteille de vin, achetée au restaurant de poissons sur le petit port et le patron nous a prêté deux jolis verres à pied.  J’aime boire le vin dans des beaux verres. Je trouve que le goût est meilleur, l’instant prend un sens forcément différent.  Le paysage est à couper le souffle. La mer est d’un bleu profond, presque d’encre. Le gris des rochers et la végétation inexistante confèrent à ce lieu un air désertique. C’est saisissant.

« Et dire qu’on est toujours dans le 8ème arrondissement de Marseille ». Rafael ne me reproche pas de l’avoir déjà dit. C’est bien aussi, les débuts, quand on n’ose pas tout noter, faire remarquer chaque anicroche. La proximité empoisonne parfois les échanges.

Le vin est bon, l’instant est doux. Je sens l’alcool réchauffer mon corps et embuer doucement mon esprit. Je pose à Rafael toutes les questions qu’il m’inspire, depuis notre rencontre. Son travail, son quotidien, ses projets. J’ai tout à coup envie de tout savoir.

Il se livre un peu, parfois sur la réserve, il tente d’être sincère. Je le vois à ses sourcils froncés alors qu’il choisit avec soin ses mots. Il n’a pas vraiment de projet, comme beaucoup, il attend que la vie lui tombe dessus, lui offre une surprise. Il a encore l’impression d’avoir le temps, il n’a pas encore compris que ce n’est pas le cas. Il se laisse porter de propositions en propositions. Il avoue ne pas savoir ce que ça va donner, il sait pourtant que tout est éphémère mais ne semble pas s’y arrêter. Il n’a pas envie de se projeter dans ce qu’il fait actuellement, il trouve que ça n’a pas de sens.

Je l’écoute, ce qu’il formule est ce que j’ai longtemps pensé de ma vie. Il y a 6 ou 7 ans, avant de rencontrer Adam, avant d’avoir Lucas. Cette sensation de vide, de légèreté parfois un peu feinte, cette envie de profiter mais celle aussi de se découvrir vraiment, de donner un sens à son chemin. La sensation de l’avoir trouvé, cet équilibre, avec la naissance de Lucas, mais seulement un temps. Puis après la mort de ma mère, ce besoin de vivre vraiment, de ne plus avoir le temps.

« Et toi Léa, tu as envie de quoi ? »

D’arrêter la photo. De quitter l’agence. D’exposer juste mes souvenirs, ou plutôt de les écrire, de faire un livre, comme ça, pour le plaisir de donner au monde un regard, celui que je porte sur lui. Et puis de guérir de tout ça, de ma séparation, de la mort de ma mère. De trouver un sens à ma vie.  Il me prend dans ses bras sous la couverture. La position est inconfortable mais il me fait du bien. Je sens son soutien, sa présence. Et tout à coup sans prévenir, il se lance.

« Tu voudras un autre enfant, un jour ? »

*

J’ai énormément voulu Lucas. Je pense même l’avoir eu dans un petit coin de ma tête, depuis toujours. Je savais qu’un jour il me rejoindrait, il partagerait ce petit bout de vie étrange à mes côtés. Malgré tout, le jour où il est né, ce sentiment contradictoire d’amour intense et de peur terrible m’a saisie. Il est impossible de regretter la naissance d’un enfant, tant ce lien est puissant. Tout ce qui se joue est inexplicable. Il y a quelque chose de l’ordre de la magie, de l’instinct, d’animal.

J’ai pourtant pensé de nombreuses fois en le regardant que je n’avais pas les épaules, pas la force, pas la patience d’élever un enfant. Comme si tout était arrivé trop vite, trop tôt. Alors même que tout avait été programmé et que j’avais 30 ans. Personne ne viendra me dire que j’étais trop jeune. C’est dur à admettre car c’est bien distinct du désir d’enfant. On peut le vouloir très fort et ensuite se sentir totalement happée, dépassée. Je ne suis toujours pas sûre d’être taillée pour ce rôle. Il est endossé naturellement par tellement de personnes. Alors que moi j’ai l’impression de réapprendre sans cesse mes lignes, de me planter dans mes répliques.

Il est la seule personne qui compte vraiment pour moi aujourd’hui. Ce sentiment est vertigineux. Ça fait mal. C’est une personne qui vit sa petite vie, qui aujourd’hui me doit tout et demain ne me devra plus rien. Il est mon principal et mon plus grand projet, mais un jour il partira.

J’aime quand il me regarde avant de rire, pour savoir si c’est drôle. J’aime quand il me serre fort la tête à me faire mal. Quand on prend un bain tous les deux et qu’il m’éclabousse le visage quand je ne le regarde pas. Ma démarche qu’il imite.  Le rouge à lèvres qu’il bousille en s’en barbouillant le visage. Les pas de danse maladroits partout et sur n’importe quelle musique. Quand il mange un gâteau comme si sa vie en dépendait. Quand il part en courant, loin devant, sans jamais se retourner pour voir si je le suis, si je suis toujours là, contrairement à tous les autres enfants de son âge.

Pour ces instants, ces moments qui rendent ma vie tellement plus jolie, il y a le revers. La peur. Celle de ne plus pouvoir être là pour lui, un jour. Celle qu’il lui arrive quelque chose. Je ne dors plus profondément depuis deux ans. Je guette son souffle, je veille son sommeil, je pense au lendemain. Il n’est pas la seule raison de mes nuits blanches, mais s’il n’y avait que moi, je me ferai moins de souci.

« Il n’y aura que Lucas », je dis doucement.

Rafael me regarde par en dessous. Je ne sais pas vraiment quelle réponse il attendait.

« Il n’y aura que lui car je l’aime trop pour aimer quelqu’un d’autre comme ça. Cet amour est épuisant, dévorant et je n’ai pas l’énergie pour ça. » Comment lui expliquer, avec des mots. Ce que Lucas me donne tous les jours, ce qu’il m’enlève aussi. L’insouciance.

Rafael regarde devant, au loin. Je le sens réfléchir. Sans doute cherche-t-il les mots qui conviennent. Je les connais pour les avoir déjà entendus, ils sont à base de tu as le temps, tu verras, je comprends mais… Il prend ma main, la porte à sa bouche et l’embrasse. Ce geste me surprend toujours autant. C’est intime et à la fois ce n’est rien. Des lèvres sur la peau fine des doigts.

Il prend le temps avant de répondre. « C’est déjà fou d’avoir eu un enfant. C’est énorme en soi. Enfin c’est banal, sinon on ne serait pas là. Mais je pense que la vie peut s’arrêter à ça. Rien qu’à ça ».

Ca valait le coup de réfléchir. Je souris. Je sens le vent frais, salé, le vent de la mer qui vient du large, de très loin. J’ai le goût râpeux du vin dans la bouche. La couverture distille le doux parfum de lavande de ma grand-mère. Les cheveux dans les yeux. Il sourit aussi. Pour ses yeux plissés, en cet instant, juste pour eux, je serais prête à arrêter ma vie à ça. Rien qu’à ça.

Chapitre 32

La maison des Goudes fait beaucoup de bruit. Elle craque, il y a du bois un peu partout, des fenêtres au plancher. Elle vit.

Je me souviens petite, des nuits d’orage dans mon lit, la couverture remontée jusqu’au nez. Je ne pouvais pas compter sur mes grands-parents pour me rassurer. Ils en avaient vu d’autres. La peur ne faisait pas partie de leur vocabulaire. Les orages en bord de mer ont pourtant une force violente.  J’écoutais le battement des volets, le grincement des arbres du jardin et d’autres bruits, nombreux et non identifiables. Puis je finissais par m’endormir, bercée par les sons que j’étais parvenue à amadouer, seule. Cette nuit aussi un violent orage fait rage sur le petit port de Callelongue. Il a été annoncé par du vent fort puis par des grappes de nuages noirs. L’air est lourd.  Nous nous sommes réfugiés à l’intérieur, autour d’une ampoule qui éclaire à peine autour d’elle et de plusieurs petites bougies.  J’installe ce qui va constituer notre dîner au centre de la table de bois. Je l’ai recouverte d’une jolie nappe blanche brodée par ma grand-mère. Je la ramènerais avec moi à Paris, j’ai besoin d’emporter un peu de l’authenticité de ce lieu.

Je me rends compte tout à coup que la maison fuit de toute part. Il y a de l’eau qui goutte par toutes les fenêtres. On dépose à la va vite des récipients de toute sorte, des bassines, des casseroles.

Lorsqu’on s’assoit sur la banquette, la vision autour de nous est surréaliste. Rafael paraît immense au milieu de ce minuscule salon qui prend l’eau, éclairé par la flamme vacillante.

On frappe trois grands coups. Je me lève d’un bond. J’ouvre la porte et j’ai face à moi un homme de taille moyenne, recouvert d’un lourd imperméable et de bottes de pêcheur, trempé de la tête aux pieds. J’hésite à le faire entrer mais il force le passage et atterrit dans le salon, rajoutant à l’humidité ambiante une énorme flaque d’eau.

Il parle d’une traite, dans un souffle rocailleux « Je venais voir si vous n’aviez besoin de rien, avec cet orage ».

Je reconnais la voix chantante que j’ai eue au téléphone. Son propriétaire bien que marqué au visage comme tous les marins du coin, est bien plus jeune que je ne l’avais pensé. Il a dans les 45 ou 50 ans. Il m’est vaguement familier, je pense l’avoir déjà croisé dans le voisinage étant petite.  « C’est vrai qu’on prend un peu l’eau là », je réponds avec un geste embrassant l’ensemble de la pièce. « Mais on a prévu de faire venir quelqu’un demain, pour estimer et faire les travaux de la maison ».

L’homme inspecte les lieux, il croise le regard de Rafael et incline légèrement la tête pour le saluer.

« Je connais quelqu’un de confiance » dit-il.

Je ne dis rien. Ce serait étrange d’accepter sur la base de sa confiance, il m’est inconnu.

« Vous êtes… » Je laisse ma phrase en suspens, lui laissant le soin de la finir.

« Un ami d’Agathe. Un ami d’enfance. »

Je ne sais pas si c’est le ton de sa voix. Plus basse, plus sombre tout à coup. Si c’est l’inclinaison de son visage au moment où il a prononcé le nom de ma mère. Cette emphase sur Agathe, puis sur enfance. Si c’est le voile léger qui est passé devant son regard. Un regard bleu, presque vert, que l’on distingue derrière des yeux en amandes. Ces yeux légèrement étirés que je connais bien, pour les avoir vus dans le miroir tant de fois, puis sur le visage de mon fils, depuis sa naissance.  Un peu de tout ça, sans doute. Toujours est-il que je comprends ce que je me refuse à admettre depuis que cet étranger a pris la peine de m’appeler un matin au travail. Je pense avoir face à moi, pour la première fois, mon père.  

« Je passe chez vous demain et on en reparle. Vous habitez où ? » je réponds dans un souffle.

Il m’indique le numéro de sa maison, celle qui est à l’entrée de la rue des Pebrons. Je connais les gens qui y vivaient, je ne sais pas s’ils sont toujours en vie. Il s’agissait d’un couple de vieux, comme mes grands-parents. Ils avaient plusieurs petits-enfants qui venaient l’été, deux étaient proches de moi en âge, je me souviens d’Alexandre et de Johanna, qu’on appelait Jo. Leur nom de famille c’était Vivienne. Je l’ai toujours trouvé beau ce nom. Romantique, féminin, comme la galerie parisienne, au creux d’un passage ancien.  Vivienne.

Je le regarde dans les yeux, je cherche à y déceler une information. A voir ce qu’il sait. C’est lui qui m’a demandé de venir. Il doit savoir, donc.  Alors qu’il se dirige vers la sortie, je lui demande quand même « vous savez qu’Agathe est morte cet été ? ». Il hoche la tête. Il semble tout à coup désemparé.  Sans doute hésite-t-il, cherche-t-il les mots à dire, ces formulations banales appelées condoléances. Il me prend simplement la main et me la presse fort. Je sens son étreinte chaude, rugueuse. Il s’en va. Rafael ne dit rien.

Chapitre 33

J’ai réfléchi toute la nuit. L’orage a fini par partir vers le large, sans emmener avec lui mes idées sombres.

Vivienne. Vivienne. Vivienne.

Léa Vivienne. Léa Delorme.

Je ne sais même pas son prénom. Il a l’air tellement jeune. Plus jeune que ma mère en tout cas. Je retourne dans mon esprit tout ce que je sais de cette famille. L’été, les enfants des environs étaient un peu tous dans la même configuration.  On venait chez les grands-parents un mois ou deux, sans les parents et on prenait un bol d’air, de montagne, de nature et de mer pour l’année entière. Il y avait beaucoup d’anciens ici, sans doute seul l’attachement au coin pouvait permettre de résister à l’attrait de la ville. Seuls des gens retraités pouvaient se retrouver dans ce lieu désert. Aujourd’hui la donne a un peu changée, il y a les résidences secondaires, ce qui n’existait pas à l’époque.

Je me fais un café, il est 5 heures du matin, j’ai dormi par bribes. Rafael m’a serrée fort dans ses bras toute la nuit. J’avais oublié que l’on pouvait dormir ainsi. Nous étions à l’étroit dans le lit de bois de mes grands-parents. Je nous avais recouverts d’un large plaid en patchwork qui sentait l’humidité. On a discuté un peu, je lui ai dit sans réfléchir « je pense que c’est mon père ». Ces mots sont sortis tout seuls, j’avais envie de partager cette idée avec lui. Il m’a écoutée, il a voulu tout savoir.

Je lui ai parlé d’Alexandre et de Johanna, je me souviens de leurs visages, ils ne ressemblent pas à l’homme d’hier. Ses enfants, ses neveux ? Ils étaient d’Aix en Provence, il me semble. Je ne sais plus vraiment. Je dois avoir quelques photos de l’époque, mais elles doivent être dans les cartons de ma mère dans l’appartement à Montrouge. Ils étaient gentils, je crois même que j’étais amoureuse d’Alexandre. On passait nos étés à jouer sur la plage, dans les rochers, dans la montagne avec d’autres enfants. On faisait des pièces de théâtre et on forçait tous les adultes de Callelongue à venir regarder. On installait quelques chaises, on accrochait une ficelle dans le petit stade de la rue, et on y pendait des draps pour faire la scène. Ma grand-mère nous fabriquait des costumes, elle a toujours été une merveilleuse arrangeuse de chiffons. Et on s’inventait des vies, des histoires. Johanna jouait une américaine à l’accent caricatural, en vacances aux Goudes et nous devenions des touristes idiots qu’elle menait par le bout du nez. Puis l’année d’après nous refaisions l’histoire de la ville de Marseille, le retour de la guerre et les histoires de familles. Il y avait quelque chose de magique à être quelqu’un d’autre. Combien de fois, ensemble, avions-nous joué à ce que nous n’étions pas ?

Mais qui étais-je vraiment, maintenant ?

Ma mère a toujours été très franche avec moi, on n’a jamais eu vraiment de secret. Même pendant sa maladie, nous avons toujours été sur un même pied d’égalité, elle ne m’a rien caché. Elle n’a pas dissimulé les mauvaises analyses, ni la tournure que prenait sa maladie. Alors pourquoi ne me parlait-elle jamais de mon père ? Fallait-il me protéger de quelque chose, de quelqu’un ? Je n’ai jamais vraiment posé de questions sur lui, mais avec le recul c’est sans doute ce qu’elle a induit par son comportement. L’histoire avait été vite éludée, elle ne le connaissait pas. J’avais entendu sans me poser de questions. J’avais fait comme tous les enfants qui ont grandi au milieu des secrets de famille. J’avais gardé l’explication des adultes, sans la remettre en question une fois moi-même devenue en âge de comprendre. Comme si les légendes familiales, souvent tirée par les cheveux, ne bougeaient pas à l’épreuve de la réalité. Je veux dire, concrètement, comment peut-on avoir un enfant d’un homme que l’on ne connait pas ? Petite je n’avais pas saisi, j’avais pensé que c’était possible, comme par magie. Plus grande j’avais pensé à l’histoire d’un soir, sans oser demander plus, sans vraie curiosité. Mais aujourd’hui, alors que je suis moi-même adulte, je sais bien que l’on connaît forcément les personnes avec qui l’on couche. Dans le pire des cas on ne connait pas leur prénom mais on connait quand même un lieu, un visage, une bribe d’histoire. Sauf si l’histoire est tellement honteuse ou triste qu’on préfère l’oublier ou en protéger les autres.  De quoi ma mère a-t-elle voulu me protéger ? Qu’a-t-elle voulu oublier ? Cette personne rationnelle, sûre d’elle me semble tout à coup une parfaite étrangère.  Elle s’est vue mourir, rien n’est arrivé trop vite. Elle a eu des dizaines de fois le temps de me parler, de me raconter, elle ne l’a pas fait. Pourquoi ?  Je lui en veux ce matin. J’ai le sentiment en une nuit de m’être éloignée d’elle.

De ce que je pensais être elle.

Je prends une tasse ébréchée avec un coquelicot peint à la main, je la remplis de café chaud et m’installe dans le jardin. Tout est mouillé, j’essuie la table et les chaises en fer d’un coup de chiffon brodé. Je m’assois et regarde le jour se lever. Le ciel passe de l’orange au bleu. Il est vide de nuage. Le soleil est puissant, il va sans doute sécher toutes les gouttes rapidement. J’avais oublié à quel point le temps change vite ici. Le café a un gout amer. Je ne sais même plus si c’est le café.

*

Quand j’étais petite, je disais à ma mère que j’entendais les vagues dans ma chambre des Goudes. Dans cette maison grinçante, enfouie sous les draps de coton épais et les couvertures de laine de ma grand-mère, je trouvais le sommeil avec le lent va-et-vient des vagues, la poésie douce et rythmée de la mer.  Ma mère m’avait assuré que c’était impossible. La plage était trop loin de la rue des Pebrons, la mer trop calme pour entendre ce bruit depuis mon lit. Mais tous les soirs d’été, les fenêtres grandes ouvertes pour tenter de faire rentrer un peu d’air dans les chambres, avec une fine moustiquaire en guise de rideaux, je me laissais bercer par ce son délicieux que j’étais la seule à percevoir.  Un matin je m’étais réveillée, j’avais sentis le soleil à travers mes paupières orangées et entendu les vagues dans un demi sommeil. En ouvrant les yeux j’avais constaté que j’étais dans ma chambre de Montrouge. Nous étions rentrées la veille de Marseille.

Dans ma chambre d’enfant encore embuée par le sommeil, j’avais soudain compris que je n’avais jamais entendu le bruit de la mer.

*

Vers 9 heures, alors que le jour est levé depuis longtemps, je décide d’aller du côté de la maison des Vivienne. Je ne sais pas encore si j’ai envie de voir l’homme d’hier soir, je passe devant chez lui, je jette un oeil, juste pour voir.

Mais il est là, sur sa terrasse, devant un café lui aussi, les yeux perdus dans le vague. Je respire un grand coup et sans plus réfléchir, je pousse le portillon de fer pour entrer chez lui.

Dès qu’il me voit, il se lève d’un bond. Il me fait asseoir, me sert un café chaud.  J’ai l’étrange impression que quelque chose de crucial est en train de se jouer, et comme souvent dans ces cas-là, je suis un peu étrangère à moi-même. Je note tout, ses joues mal rasées, ses yeux perçants, la cicatrice sous son oeil droit. Il triture ses mains, j’entoure ma tasse de café avec les miennes. Je découvre avec surprise qu’elle représente elle aussi un coquelicot peint à la main. Il sort de sa poche une lettre, pliée et repliée de nombreuses fois à en croire les marques sur le papier fin. Je reconnais l’écriture de ma mère. Je découvre son prénom.

J’avais donc raison.

Arthus,

Comme tu le sais, Léa est ta fille. Je ne le lui ai jamais dit. Pour préserver ton indépendance, comme tu le souhaitais. Pour préserver mes parents, les tiens, les apparences. C’est idiot. Ça semble terriblement dérisoire aujourd’hui. Je vais mourir, Arthus. Je le sais, Léa le sait. Je pensais vaguement, un jour ou l’autre, qu’elle me poserait plus de questions sur toi. Mais ce moment n’est jamais venu. Elle n’en a pas ressenti le besoin. Et moi encore moins.  Aujourd’hui, nous n’allons pas avoir cette discussion solennelle sur ses origines, comme dans les films, sur mon futur lit de mort. Il me reste quelques mois, quelques semaines, j’ai envie de les passer avec ma fille, comme avant. Que ta présence ne fasse pas d’ombre à notre relation. Nous avons besoin d’être toutes les deux, juste nous. D’affronter ça ensemble. Ce n’est pas ta place. Je ne veux pas que les dernières discussions que nous allons avoir avec Léa tournent autour de toi. Ce serait trahir notre relation à toutes les deux, te donner une place que tu n’as pas.  Que tu n’as pas souhaité avoir.

Pourtant.

Elle va avoir besoin de toi. Elle dira que non. Comme elle l’a toujours fait. Elle est indépendante, elle est forte. Je la soupçonne même de s’éloigner de son compagnon actuellement et de ne pas m’en parler pour me protéger. Léa a besoin de faire le vide autour d’elle dans l’adversité. Elle a toujours fonctionné comme ça. Autonome. Indépendante. Tu serais fasciné par la personnalité de ta fille.

Mais elle ne sait pas encore qu’elle se trompe. On a besoin des autres. De ses racines. Après mon père, en maison de retraite à Marseille, tu vas être la seule racine qu’il lui restera.

Alors je compte sur toi. Pour nouer ce lien, pour lui parler, pour tout lui raconter, toi.

Je sais que ça ne te plaira pas, alors je ne te laisse pas le choix.  Je te lègue le rôle de narrateur de notre histoire, de son histoire, de votre histoire.

Tu le lui dois, tu me le dois.

PS : Tu as un petit-fils. Il s’appelle Lucas et il te ressemble.  

A travers mes larmes, je souris. Ce style, ces tournures, je reconnais ma mère. Je pourrais lui en vouloir. Quel secret ! Mais je peux presque la comprendre. Je n’ai jamais eu de père, ça aurait été étrange de m’y intéresser pendant sa maladie à elle. Comme si j’avais eu l’intention de la remplacer. Comme si les personnes étaient banalement interchangeables. Je sais aussi depuis toujours, sans vraiment me l’avouer, que ma mère a toujours souhaité me garder pour elle. La peur de me perdre sans doute. La priorité c’était elle, notre histoire à toutes les deux.

Je regarde Arthus, il reste immobile. Sans parler. Je détaille son visage, j’y retrouve effectivement des traits lointains de Lucas. C’est son grand-père.  Arthus boit une longue gorgée de café et se râcle la gorge. 

 « Tu sais Léa, j’ai aimé ta mère. Je ne me cherche pas des excuses ou à me donner le beau rôle. C’est un fait, je l’aimais. Maintenant que tu as un enfant tu sais sans doute qu’avant d’être parent on est une personne. »

Je ne vois pas où il veut en venir. S’il cherche à se justifier, ce n’est pas la peine. Je ne fais pas partie de ces enfants qui pensent que leurs parents sont un dû.  Surtout quand l’un des deux n’a pas l’air franchement impliqué dans le projet d’enfant. Il a vécu sa vie sans moi, tant mieux pour lui. 

 « Ce n’est pas la peine, vraiment. Ma mère se trompe quand elle dit que je ne veux pas savoir parce que je suis indépendante. Ce n’est même pas ça… je comprends que vous n’ayez pas voulu d’un enfant. Ca arrive ces choses-là. La contraception, l’avortement ce sont des concepts plus actuels… Je suis contente de la vie que j’ai eue avec ma mère, je n’ai manqué de rien… même pas d’un père. »

Je le regarde discrètement mais son visage ne montre rien.

« Je n’ai pas envie de vous faire un procès, de vous dire tout ce que vous avez peur d’entendre. Je m’en fiche au fond. De vos raisons, de votre vie. Considérons seulement que nous sommes deux droites parallèles qui ne se sont pas croisées.  Ca aurait pu, il aurait suffit de pas grand-chose. D’une inclinaison, d’un tracé légèrement différent. Mais ça ne s’est pas fait, c’est comme ça. »

Je pose ma tasse et me lève pour partir. Au moment d’arriver au petit portillon, je me retourne. Il fixe sa tasse, il ne semble pas triste, ni accablé. Juste pensif. 

Je prononce, comme pour le convaincre : « Vous savez, la vraie douleur c’est de perdre un parent qui est tout pour soi, qu’on a aimé depuis toujours. » Je reprends ma respiration pour ne pas pleurer.  « Ne pas connaître un parent, à côté, ce n’est rien. On ne peut pas ressentir le manque de ce qui n’a jamais été ». Je pars et derrière moi, le petit portillon m’échappe des mains et claque violemment sans que je n’aie pu le retenir. Je m’en vais sans me retourner cette fois.

Chapitre 34

« J’ai envie d’aller dans le centre de Marseille aujourd’hui », je glisse à l’oreille de Rafael, toujours au lit.

Tout sauf rester aux Goudes. Il se redresse, ensommeillé, il regarde autour de lui.

« Quelle heure est-il ? »

« 11 heures. Je suis allée voir ce mec. Mon père. Il s’appelle Arthus. Arthus

Vivienne. »

Il se redresse d’un coup.

« Tu aurais dû me réveiller. Il t’a dit quoi ? »

« Non, c’est bon, je devais y aller seule. Rien de spécial. Ma mère lui avait demandé de me parler, voilà c’est fait, je sais qui il est. »

« C’est tout ? Tu n’es pas curieuse d’en savoir plus ? »

« Pas vraiment ».

Rafael ne dit plus rien. Il respecte les choses qui ne lui semblent pas logiques.

Adam m’aurait sans doute poussée dans mes retranchements. Là, il n’insiste pas. Rafael partage beaucoup de choses avec moi, en ce moment. Ce n’était pas prévu, c’est comme ça. Sa présence me fait du bien, il me fait du bien. Quand je le vois j’ai cette envie permanente de le prendre dans mes bras. J’ai envie de mettre ma tête dans son cou, de respirer son odeur. De glisser ma main dans la sienne. Il me berce un instant, m’embrasse. Je me laisse porter. Ma mère dit que je suis indépendante, pourtant ces temps-ci j’ai l’impression d’avoir énormément besoin de lui.

*

J’ai beau dire que je ne veux pas y penser, cette histoire ne me sort pas de la tête.  En y réfléchissant, je trouve Arthus très culotté. Il me fait venir de Paris pour un faux motif et me montre la lettre de ma mère. Il la commente maladroitement et espère quoi ? Je suis sûrement injuste, il se contente de respecter les dernières volontés d’une femme qu’il a aimée. Mais il aurait pu au moins se déplacer au lieu de me faire accourir pour rien. Enfin juste pour quelques fenêtres qui fuient.  Je décide de laisser tomber les travaux. Je ne sais pas par quel bout attraper tout ça. Cette maison et l’ampleur des efforts qu’elle représente me font peur. Je verrais plus tard. Je n’ai pas envie de demander conseil à Arthus et j’ignore comment m’y prendre. Elle est belle, l’indépendance.  Avec Rafael, nous avons mangé sur le toit du Mucem, les yeux perdus dans le bleu de la mer.  Le service était lent mais chaleureux, l’exact inverse de Paris. Je connais peu Marseille au final, mais cette ville a toujours de quoi me charmer. Les gens ici vivent ensemble. C’est suffisamment rare pour être souligné. Je ne comprends pas pourquoi personne ne prend l’exemple de ce qui joue dans cette mixité pour l’adapter aux autres villes. Ici ce n’est pas l’origine, la couleur de peau qui conditionne une vie. Ce sont seulement les revenus qui attribuent le lieu d’habitation, le quartier, et en son sein tout le monde est pareil. Pas de prise de tête, de stigmatisation. Les femmes voilées côtoient les kippas dans un naturel apaisant. C’est un peu éloigné des quartiers par origine de Paris : chinois, africain, juif ou indien. Je l’aime aussi cette mixité parisienne, le vivre ensemble y est un peu différent, on vit plutôt en communauté. A Marseille on est marseillais avant tout, l’origine arrive après.

Ma mère était marseillaise. Agathe Delorme. Une rêveuse, danseuse, baroudeuse.

J’espère que ses rêves n’ont pas été trop grands. Que cette vie ne l’a pas déçue. Je ne sais plus ce qu’elle pensait. Antoine, Arthus. Ces hommes dans sa vie. Et d’autres. Jamais les mêmes. L’indépendante ce n’est pas moi, c’est elle.  « Je me demande si ma mère a été satisfaite de sa vie » je me demande tout haut, en regardant autour de moi, le bleu de la mer, l’horizon et tout ce que ma mère a abandonné en quittant Marseille.

— Qu’est-ce qui te fait penser qu’elle ne l’était pas ? » me demande Rafael.

— Je ne sais pas. Peut-être parce que c’est la question que moi je me pose sur ma vie. Aussi parce que son passé était très différent de son présent, comme si elle avait tiré un trait sur son enfance. Beaucoup de gens changent de villes, mais ce n’est pas que ça. Elle est partie enceinte et a tout recommencé toute seule. Ca a dû être difficile. »

— Pourtant, quelque part, c’est ce que tu as fait aussi non ? Demande prudemment Rafael.

— Je ne crois pas. Je ne sais pas. Peut-être que ce n’était pas si difficile alors. Elle a toujours été très entourée. Tu sais, si certains traversent la vie sans réelle connexion, ce n’était pas son cas. Tout le monde l’aimait. Elle était très fidèle en amitié. Elle a des amies qui sont devenues des soeurs, pratiquement. De celles qu’on réveille en pleine nuit pour dire quand ça ne va pas. Pour certaines, c’est à l’âge adulte que j’ai su que nous n’avions aucun lien de parenté, tellement j’ai eu l’habitude d’avoir des tatas autour de moi. »

Je regarde l’horizon. Un ferry part au loin, pour la Corse sans doute. Je me demande s’il y a des gens plus heureux que moi à bord, s’il y en a des plus malheureux.

« Elle s’est recréée une famille en fin de compte. » me dit Rafael. Je suis certain qu’elle a été très satisfaite de sa vie. Je suis certain que tu le seras aussi.  Tu l’es même probablement déjà. C’est juste que tu ne le sais pas. »

Il me sourit. Je ne sais pas à quoi il pense. Tout à coup il me manque. Alors même qu’il est en face de moi. Ca me fait comme un pincement dans la poitrine.  Je prends sa main dans la mienne. Et la douleur s’atténue un peu.

Chapitre 35

Arthus n’est pas décidé à me laisser tranquille. Sans doute voit-il dans cet acharnement une façon d’honorer la mémoire de ma mère. C’est le matin de notre dernier jour aux Goudes, alors que Rafael dort encore, j’entends frapper discrètement au carreau de fenêtre de la cuisine. Je sursaute et voit son visage, toujours cette même expression impassible. Ses yeux sont bien présents, ils fixent de manière intense, mais sa bouche ne laisse rien paraître. Il m’adresse un petit coucou et je lui fais signe que je sors le rejoindre dehors.  J’installe sur un plateau deux tasses coquelicots, une cafetière italienne pleine de café chaud, du lait et des morceaux de sucre roux que nous avons achetés dans la supérette à côté. J’ai la sensation que nous avons notre rituel avec Arthus. Celle des cafés coquelicots dans le jardin au petit matin et des discussions émaillées de silence.  Il regarde autour de lui, il semble ému tout à coup. Ce lieu doit lui rappeler beaucoup de choses. Je le laisse prendre son temps. J’imagine à quel point ce doit être difficile, 32 ans après, de se retrouver face à moi et de raconter son histoire. Ca l’est aussi pour moi, quelque part, de l’entendre. Ma mère disait toujours, tu peux partir loin mais les conséquences de tes actes resteront. Elle m’avait enseigné à ne pas fuir devant mes responsabilités, enfin c’est ce que j’avais toujours pensé. Aujourd’hui je comprends différemment cette phrase.  Elle exprime plutôt un regret, une impossibilité à redémarrer réellement à zéro, à faire peau neuve, à vivre une autre vie.

Arthus parle posément, sans doute ses mots ont-ils été répétés de nombreuses fois dans sa tête avant d’être prononcés. Ma mère et lui se sont rencontrés il y a 33 ans, juste avant ma naissance, aux Goudes. J’avais raison sur un point : il était plus jeune qu’elle. Beaucoup plus jeune. Ma mère avait 24 ans et lui n’en avait que 16. A cette époque, elle ne vivait déjà plus vraiment aux Goudes avec ses parents. Elle rentrait seulement pendant les vacances de temps en temps, elle venait de terminer ses études de lettres sur Aix en Provence. Je compris qu’à cette époque, ma mère avait commencé à s’éloigner de l’éducation rigide de ses parents. Elle occupait une chambre dans un appartement avec d’autres étudiants. Mes grands-parents ne pouvaient lui payer ses études et ma mère donnait des cours particuliers à des élèves plus jeunes. C’est comme ça qu’elle a rencontré Arthus. Leurs parents se connaissaient bien, ils étaient voisins depuis toujours. Agathe et Arthus se connaissaient de vue, du quartier, sans s’être vraiment fréquentés. Quand elle avait terminé son année de CM2 il avait à peine deux ans. Ensuite, elle avait été au collège en pension sur Marseille et rentrait plus rarement. Arthus avait suivi le même chemin, tout au plus se croisaient-ils de temps en temps sur la plage ou dans les montagnes des Goudes en été.

A l’été 1980, Arthus allait entrer en première et avait besoin d’améliorer son niveau en français en prévision du bac. Mes grands-parents se mirent d’accord avec les siens et ma mère lui servit de professeur tout l’été. Et ils étaient tombés amoureux, tout simplement.

En me disant ça, Arthus sort une photo de sa poche. Ils sont tous les deux côte à côte, souriants. Ma mère porte une robe bleue à carreaux vichy, elle a les cheveux longs et noirs emportés par le vent, elle sourit de cette expression que je lui connais bien. J’ai pourtant l’impression que ce n’est pas elle. Arthus sur la photo est déjà très grand en taille, il a les cheveux châtains, légèrement frisés, assez longs pour s’envoler aussi dans le vent. Il sourit aussi et son visage s’en trouve transformé. Ils sont beaux. Il fait plus jeune c’est sûr, mais ma mère aussi.  Le reste de l’histoire est un classique. Ils se sont aimés pendant une année entière, en cachette de leurs parents. Ma mère est tombée enceinte. Il avait 17 ans et elle 26 ans. Les parents d’Arthus ont fait pression pour qu’il continue ses études, ma mère a décidé de partir, de quitter les Goudes pour échapper à ses parents et à leur morale catholique. Personne n’approuvait ce bébé. Personne n’avait voulu que je naisse. Sauf ma mère.

La honte de la différence d’âge, l’enfant hors mariage sont des concepts qui auraient pu passer dans les années 80. Nous n’étions plus au milieu du siècle.

Mais parfois les gens sont en prise avec leur histoire, les codes sociaux, les obligations qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Il y a une telle lâcheté tout à coup dans cette histoire de famille. Quant à Arthus, il n’avait pas réellement voulu de moi, il avait d’autres projets, il avait prévu de voir le monde. Comment le lui reprocher à dix-sept ans ? Nous n’étions pas dans une histoire où un couple se bat contre tous pour élever un enfant. Ma mère était partie, seule. C’était sans doute de là qu’était né son caractère indépendant, cette force. Sans doute par fierté, elle ne l’avait jamais recontacté. Elle avait mis presque cinq années pour pardonner à ses parents leur rejet, pour accepter de les revoir. En 1986, ils avaient renoué petit à petit et c’est à cette époque que j’ai passé mes vacances aux Goudes, les étés. Arthus n’y était plus. A ses 20 ans, il était parti vivre à l’étranger pendant près de dix années. Impossible de ne pas voir dans cette expatriation une façon d’échapper à sa descendance. De m’échapper. Il a fait des études poussées, est devenu journaliste en Angleterre, en Irlande, puis aux Etats-Unis. Il écrivait pour le National Géographic, s’est spécialisé sur les sujets concernant la nature, l’environnement, a participé à des études climatiques poussées et a réalisé différents travaux d’investigation sur le réchauffement climatique. Il n’a jamais vraiment eu de nouvelles de ma mère. Aux Goudes le sujet était tabou et à cette époque sans Internet, les liens étaient facilement rompus avec la distance géographique.

Une histoire banale. Combien de familles monoparentales démarrent ainsi ? Sur l’envie non partagée d’avoir un enfant. Ma mère avait-elle, elle-même, vraiment souhaité m’avoir ? Elle m’a toujours assurée que oui, en tout cas. Je suppose que par la suite, de toute façon, la question ne s’est plus posée. Nous avons été vraiment heureuses.

Arthus ne dit rien d’autre. J’imagine que ce bout de son passé a plus de reliefs, de beaux et de mauvais moments. De cris, de rage ou de batailles perdues.  D’intimité, d’intensité. D’amour. Mais ça leur appartient. C’est leur aventure.  Elle n’a pas été classique sans être totalement folle. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus. Je sais d’où je viens et mon enfance me paraît légèrement différente, éclairée par ces nouvelles données. Je revois mes grands-parents, ma mère, mes étés aux Goudes sous un autre angle. Ca change peu de choses, mais j’ai besoin de l’assimiler, d’y penser et de me faire à cette idée que mon père est une personne identifiée, qu’il vient tout juste d’avoir 50 ans et qu’il s’appelle Arthus Vivienne.

Il me propose de prendre en charge les travaux de la maison des Goudes. De gérer ça pour moi. J’accepte, par facilité mais surtout car je réalise qu’il a besoin de ce geste matériel pour se dire qu’il n’a pas totalement démissionné. Et moi j’ai tout à coup besoin que quelqu’un se charge des responsabilités pour moi.  Il me prend la main rapidement, avant de partir. Il le fait maladroitement, par obligation, mû par un réflexe social, une chose qu’il s’imagine devoir de faire. Sa pression est chaude, sans être chaleureuse. Il est embarrassé, moi aussi. Il ne me parle pas de Lucas, il ne s’en sent pas le droit ou s’en fiche, peu importe. Il a honoré sa part du contrat, il peut partir, fuir à nouveau. Il n’a juste pas réalisé que les conséquences de ses actes continueront derrière lui, à vivre leur vie.

Chapitre 36

Je ne lui rends même pas visite par envie, voilà ce que je me dis alors que je remonte le long couloir qui mène à sa chambre. Toutes les maisons de retraite sentent la même odeur. Un mélange de produit citronné pour le sol et d’urine. Si je suis ici c’est uniquement par obligation honteuse de petite-fille. Petite-fille apeurée par un grand père acariâtre, taciturne, avare de mots et d’amour. En grandissant je l’avais trouvé tellement ridicule, enfermé dans sa raideur, ses principes, dans une foi sans âme qu’il utilisait plus pour rabaisser celle des autres que pour élever la sienne. Petite il me faisait peur. L’avais-je aimé ? Je ne sais pas. Et alors que je l’aperçois, petit et chétif, tellement diminué dans ce lit individuel soudain trop grand pour lui, j’ai la certitude que non. Si je l’avais aimé, cette vision de lui m’aurait tiré une émotion. Ou est-ce mon coeur qui s’est endurcit ? J’ai du mal à le savoir aujourd’hui.

“C’est moi, c’est Léa”.

Son regard vide se tourne vers moi. Sa pupille est trop grande, la couleur de ses yeux est délavée. Ils n’expriment plus rien. Ni surprise, ni joie de me voir ici. Je ne peux pas le lui reprocher. Me reconnaît-il seulement ?  Je m’approche de son lit, je me mets à parler doucement de tout et de rien, comme je sais bien faire quand je suis mal à l’aise. Tapisserie, beau temps, repas du jour… Tout y passe. Il finit par m’attraper la main et sa peau ridée et veineuse sur la mienne me dérange. Je ne la retire pas, pourtant.  Il me dit d’une voix chevrotante, mais où perce son ancienne autorité “Léa tu parles trop”.

Je ne dis plus rien. Le pépé se rappelle de moi et tout à coup j’aimerais être capable de le pousser dans ses retranchements, de savoir pourquoi il a si mal aimé ma mère, sa fille, pourquoi il a passé toute sa vie à être un vieux con et à essayer de gâcher celle des autres.

Je profite de sa faiblesse, de sa hauteur qui s’est ratatinée.  “Pourquoi tu n’as jamais eu un geste d’affection pour Agathe quand elle était petite?”.

Il se tourne vers moi et me regarde longuement. Je me demande même s’il m’a entendu lorsque doucement il murmure “dieu rappelle toujours les meilleurs auprès de lui”. Ce n’est pas une simple observation, cette phrase sort facilement alors que sa mémoire lui fait défaut. Elle revêt une importance particulière pour lui, il l’a prononcée comme un psaume.

“Tu veux dire, Agathe ? Sa mort? J’ai pensé que ce n’était pas utile de t’appeler, je savais que tu ne pourrais pas te déplacer…” Je ne sais pas pourquoi je cherche à me justifier. A expliquer pourquoi je l’ai tenu éloignée de la maladie puis du décès de sa fille. Ce n’était pas sa place tout simplement. 

Il continue de me regarder, mais sans sembler m’écouter. “Albert était un bon garçon. Dieu ne rappelle que les meilleurs auprès de lui.”

Je sursaute. Je sens les larmes me monter aux yeux. Ce prénom me fait l’effet d’une gifle. Albert. Ce petit frère mort né avant que personne ne le connaisse vraiment. Ce garçon qui n’a même pas vécu une journée occupe l’esprit de mon grand père pendant ses logues journées de vieillesse. Bien plus que celui de sa fille qu’il a pourtant connue pendant soixante ans. Les regrets, le manque d’un enfant ont-ils plus d’importance que la présence d’un autre ? La mort de son fils et le rejet de sa fille. Tout l’aspect sombre, tortueux et violent de mon grand-père résumé en cette phrase, en ce drame. Folie. Faut-il avoir l’esprit malade pour refuser de l’amour à un petit enfant, à sa fille. La punir de la mort d’un frère qu’elle n’a jamais connu. Et ma grand-mère si admirative, si soumise, qui suivait cette froideur morbide sans la remettre en question, tellement anéantie d’avoir mis au monde un enfant mort.  Un garçon. Leur premier et unique garçon. Je les imagine tout à coup, je peux presque les voir, ce couple qui n’a pas su se relever, qui n’a pas su aimer après la perte de leur deuxième enfant. Une vie sèche. Aride comme les calanques qui entouraient leur petite maison. Le manque d’amour n’a pas besoin de coups pour faire mal.  Soudain j’ai mal pour ma mère, pour l’enfant qu’elle a été. J’aimerais revenir en arrière, la bercer, la consoler, et lui donner l’amour qu’elle n’a pas eu. Je l’ai fait à ma façon, à l’adulte qu’elle a été.

Vers la fin de sa maladie, elle ressassait beaucoup son enfance qui semblait occuper ses pensées. Je sais que la maladie a de multiples visages et de nombreux facteurs. On entend tellement de choses sur le cancer. Mais son enfance a-t-elle eu un rôle dans son déclenchement ? A un mal qui l’aurait rongé de l’intérieur depuis toujours ? Je n’y crois pas vraiment, mais mon visage est soudain inondé de larmes. Mon grand-père est vivant, il a 95 ans et il ne devrait pas être ici alors que ma mère n’y est plus. Ce n’est pas normal. Je me sens en colère et tellement désespérée à la fois. Mais ça ne marche pas comme ça. Ce n’est pas une vie pour une autre.

Chapitre 37

Je ferme les rideaux et revient bercer Lucas dans son lit. C’est tellement bien de le retrouver. Il m’enlace de ses petits bras et se laisse dorloter sans râler. Je lui ai manqué autant qu’il m’a manqué. J’attends d’entendre son souffle plus lourd, régulier, et je sors de la chambre sur la pointe des pieds, en essayant de ne pas faire grincer le parquet.

Je me sens bien chez moi. Je suis heureuse d’être rentrée à Paris. Je m’assois sur le canapé et me rends compte du poids qui a été sur mes épaules pendant cette semaine. Je fonds en larmes. Je me sens libérée de quelque chose, sans vraiment savoir quoi.

Je suis heureuse d’avoir retrouvé mon quotidien, mes repères, comme s’ils avaient pu m’échapper. Comme si cette escapade aurait pu me les arracher. Ma mère me manque. J’aurais aimé qu’elle soit là, avec moi. Qu’on parcourt cette route vers le passé ensemble. Je la comprends mieux aujourd’hui, mais son absence fait encore plus mal.

Je tape Arthus Vivienne dans google et je vois des articles, des photos de lui. Je découvre son travail, je remonte ses dernières actualités. Je n’apprends pas grand-chose de plus. Je me rends compte que je ne sais même pas s’il est marié, s’il a des enfants. Sans doute pas. Il m’en aurait peut-être parlé. nous n’avons pas parlé de johanna et Alexandre, qui sont-ils pour lui ? Je lis quelques articles de lui. Il a un beau style, une plume vindicative. C’est toujours délicat de mesurer la réussite de quelqu’un grâce à Internet, tant tout peut y être faussé.  Malgré tout, en découvrant ses différentes publications, je suppose qu’il est satisfait de sa vie. Qu’il a réussi. Je me surprends alors à être en colère contre lui.

Chapitre 38

Le lundi matin qui suit, Samuel m’attend de pied ferme, dans mon bureau. Il a un magazine roulé dans la main et tapote nerveusement mon ordinateur. Je pense qu’il a quelque chose de grave à m’annoncer mais lorsqu’il me voit, son visage s’éclaire dans une expression de joie ironique.

« Alors Léaaaa ? On n’a rien à confesser à son big boss ? ». Il insiste lourdement sur le big. Une petite alarme clignote immédiatement dans ma tête. Alors que je réfléchis à la va-vite à ce que j’ai pu faire, il ouvre le magazine à la toute dernière page, rubrique « que sont-ils devenus ». Et je vois mon visage.  Souriante, les yeux fermés, le bras de Rafael enroulé autour de ma tête, ses lèvres sur ma tempe. Une photo le montre de face, puis une autre où nous sommes de dos, nous tenant par le bras, au pied de mon immeuble. Ce que je ressens est d’une violence inouïe. Nous ne faisons rien de mal sur ces photos mais je me sens comme prise la main dans le sac. Une gifle ne m’aurait pas fait pire effet. Je parcours les quelques lignes, au style racoleur : « Rafael aurait-il enfin trouvé le big date avec Léa ? Son attachée de presse parisienne lui a mis le grappin dessus et ne le lâche plus ! Ne pleurez pas mesdemoiselles, car c’est le big écart d’âge ! Allez on leur laisse 10 ans…euh 10 jours ! ». Une flèche pointe vers ma main qui semble tout à coup agripper désespérément le bras de Rafael.  Sur la photo on a l’impression qu’il essaie de se détourner de moi. Je n’ai aucun souvenir de ce moment. Je ne suis même pas attachée de presse et encore moins la sienne. C’est atrocement humiliant.

Je reste la bouche ouverte. Samuel jubile et pousse des petits cris de joie. Je croise le regard de Laura, elle rougit instantanément. La date de parution est de samedi. Je n’ai eu aucun écho de cet article, relégué au fond du magazine. Tant mieux. Qui ça pourrait intéresser de toute façon ?

*

Au vue de mon téléphone qui vibre toutes les trois minutes, depuis ce matin, j’ai envie de répondre : tout le monde. C’est comme si tout à coup je découvrais un monde parallèle, celui des lecteurs de presse à scandales. Magie des nouvelles technologies, mes amis se sont fait passer le mot et l’info. J’ai même un pote qui a créé un gif et l’a posté sur notre conversation de groupe whatsapp. J’ai envie d’hurler.  Mais je sais de quoi il s’agit. Derrière ce déferlement, le soulagement. Mes amis silencieux depuis des mois, se déchaînent aujourd’hui. Le malheur, on ne sait pas par quel bout l’attraper. Mais les bonnes nouvelles, ça se partage, ça rapproche. Je ne peux pas vraiment leur en vouloir. Je reçois même un texto de Garance qui me dit « félicitations ! » avec un smiley. J’ai envie de lui répondre « qui êtes-vous ? » mais je me retiens. Leur envie de célébrer la nouvelle et de me taquiner part certainement d’une bonne intention. Mais je n’étais pas prête à fêter quoi que ce soit, moi. Je n’avais pas prévu d’officialiser, de me projeter, alors certainement pas celle de me retrouver dans la peau d’une cougar désespérée.

J’envoie un texto à Rafael, étrangement silencieux. Je lui demande s’il a lu le magazine. (Y-a-t-il quoi que ce soit à lire là-dedans ?) Il me répond « oui, sorry ».

Bon. Il est désolé. Je lui fais pitié avec mes 10 années lourdement accrochées à son bras.

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